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mardi 31 décembre 2013

2014 ou la défaite du mal

En 2014, tout va bien. Inutile de multiplier les voeux... Dans la réalité, n'est-ce pas, le Bien gagne toujours. Contrairement à une forte idée reçue, ce n'est pas le Mal qui l'emporte à la fin...


Bain de minuit pour les ours de la banquise 
qui se réjouissent de l'arrivée de 2014. 
Constater, comme nous osons fièrement le faire ici, l'empire du Bien sur le Mal n'est pas naïveté. Ce n'est pas non plus prophétie une auto-réalisatrice; c'est seulement le constat de l'Histoire. 

Il faut se rendre à l'évidence. Ce n'est pas le mal qui sort vainqueur de la lutte éternelle. On en a quelques preuves.

D'abord, s'il en était autrement l'humanité ne serait plus là pour en parler; elle se serait détruite depuis longtemps. Les stocks de bombes nucléaires disséminés ici et là depuis des dizaines d'années y suffisent largement. 

Or, nous sommes toujours là. Est-ce l'équilibre de la terreur qu'il faut louer pour cela ? Est-ce un dieu bienfaisant et très oecuménique ? Ou bien est-ce une loi sociologique internationale, ou plutôt interculturelle, voire anthropologique, selon laquelle le pire serait sans cesse rejeté dans le tiroir des options dont on ne se sert pas. 
Mais rejeté par qui ? Y aurait-il ici un équivalent de la fameuse main invisible dont parlait l'économiste écossais Adam Smith en 1756, ce mécanisme naturel d'auto-régulation des marchés agissant non pas malgré mais du fait de l'égoïsme des hommes ("Recherche sur les causes et la nature de la richesse des nations") ?

En tout cas, nous avons survécu à la guerre froide, mais aussi à la fin de l'histoire, à l'an 2000, à l'apocalypse Maya pourtant prévue pour décembre 2012. Nous avions même survécu avant cela au passage à l'Euro... C'est dire si la volonté de survie de l'espèce est forte. Ou simplement la Volonté au sens de Schopenhauer. 

Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut point entendre

Bien sûr, on va nous accuser de courte vue et de courte mémoire. On va nous objecter que nous oublions les tyrans, les génocides, les pandémies, les horreurs de toutes les guerres du passé et du présent (Syrie, Tibet, Soudan, Haïti, Afriques...). 

Mais au contraire nos yeux voient plus loin que ce que l'Histoire sélectionne à un moment donné comme formant le tout du réel. On déplace le cadre et apparaît le mensonge structurel. 

Si le mal était le vrai vainqueur à long terme, la Terre serait totalement couverte de dictatures.
Si le mal primait toujours, les valeurs maléfiques seraient portées au pinacle.
Si le mal était primus inter pares, les oeuvres de Sade seraient étudiées à l'école. 
Et les fleurs du mal seraient en bouquets à offrir comme modèle social absolu.

Mais non, la plupart des hommes luttent contre le mal et, en tout cas, personne ne s'en réclame. Au contraire, chacun prétend à la vertu et affirme vouloir le bien de tous, même quand c'est pour affermir ses propres intérêts. 

Comment se fait-il ? 

Ou plutôt, comment avons-nous réussi cela ? Car c'est un effort collectif que ce travail d'évitement permanent, de réparation obstiné, de patiente résilience. C'est une oeuvre longue de prudence, d'élévation des vues, d'accordage des sensibilités et d'harmonisation des désaccords.

Le philosophe écossais David Hume a été un des premiers à exprimer cette idée, maintenant largement partagée en sciences sociales, que les gens pensent souvent être en désaccord alors que leurs opinions sont simplement complémentaires. 

Ce constat devrait être répété ad libitum dans les écoles de la République, mais aussi dans les écoles du Commerce, dans les universités, dans les écoles religieuses, et surtout dans les médias et sur chaque page d'accueil de tous les moteurs de recherche d'internet : on croit être en désaccord quand nos opinions sont simplement complémentaires...

Dans son "Essai sur la règle du goût" (“Of the standard of taste” de 1742), Hume donne en exemple un épisode savoureux tiré du Don Quichotte de Cervantes, l'histoire des deux oenologues : ils avaient tous deux raison bien que leur jugements fussent différents (cf. texte lisible via le lien David Hume, “Essai sur la norme du goût”).


Et dans tout cela la poésie ? 



Claude Lévi-Strauss développe une idée voisine - mais antonyme - dans "Race et histoire", un court essai de 1952. Pour lui, est barbare celui qui justement parle de barbarie, celui qui y croit. Il retrouve ainsi cette vieille vérité : ne pas nommer le mauvais est un moyen simple et efficace de ne pas l'aider à exister. 

Alors si croire influe sur ce qui est, croyons que 2014 est une très bonne année. 


En 2014, les politiques qui ont inconsidérément réduit les moyens de subsistance du Printemps des poètes vont donc se réveiller de leur sommeil dogmatique (comme Kant après avoir lu Hume justement...), nous sortir de notre mauvais rêve et rendre à l'association ce qu'ils lui ont pris, c'est-à-dire un budget de fonctionnement décent.
 Ce sera une bonne année. Vous verrez, déjà en 2011, nous avions prédit ce qui est maintenant devenu un beau passé (à lire ici pour les incrédules).  

Merci enfin à Pierre Vavasseur d'avoir, dès le premier jour de cette belle année, lancé la même demande sur les ondes de France Inter (écouter ici)


AxoDom

NB : La triste photo qui l'illustre n'a bien sûr aucun rapport avec cet article joyeux. Les ours polaires vont attendre la fin de 2014 pour savoir s'ils doivent se réjouir. 

mardi 17 décembre 2013

Braque, chaos, Deleuze, art

En sortant de l’exposition Georges Braque au Grand Palais, on pense à tout ça : le cadre, l’art, le chaos, le concept de révolution, la NSA et la poésie aujourd’hui.  


Braque et ses oiseaux, à la fin.

Le 3e festival O+o de Paris auquel nous avons collaboré et participé en septembre dernier avait pour thème "Sortir du cadre". 

Bien des thèmes de festival ne sont que prétextes à lancer une machine à créer. Et c'est déjà bien. Ce fut le cas ici mais certaines formules ont comme une vie autonome et nous poursuivent.

Cette histoire de "cadre" dont il était question de "sortir" n'avait pas, pour nous, dit tout ce qu'elle avait à dire. Comme si, après avoir sauté hors du cadre comme un cabri on n'était pas à nouveau dans un cadre ? Voire même le même... Comme si les avant-gardes n'étaient pas les prochaines institutions... Comme si on pouvait encore croire à l'efficacité du concept de révolution comme apportant du progrès à l'humanité... Comme si nulle tradition n'avait de valeur.

Ainsi Georges Braque, qui s'est obsédé de cette question jusqu'à torturer des billards, n'a réussi à sortir du cadre qu'au tout début de son travail, avec ses paysages fauves, et à la toute fin de sa vie avec ses oiseaux comme ci-dessus, c'est-à-dire dans ses moments de plus grande innocence.

En y repensant, on revoyait toute l'intelligence de l'affiche créée par Philippe Mairesse pour le festival O+o de Paris 2013 (visible ici). 

Et puis le hasard qui régit pour moitié nos vies, et donc le contenu de nos ordinateurs, fit resurgir le texte suivant, trouvé sur le Flotoir de Florence Trocmé, la tenace fondatrice du site Poezibao, à propos du dernier essai d'Ariane Dreyfus,  (La Lampe allumée si souvent dans l'ombreÉd. Corti, 2013).
Art et chaos (Deleuze, via A. Dreyfus)  Page 103, l'admirable citation de Deleuze sur l'art et le chaos. Elle me fait comprendre tant de choses : « L’art prend un morceau du chaos dans un cadre, pour former un chaos composé qui devient sensible ». Ariane la glose écrivant : « le cadre n’est donc pas seulement ce qui met en forme [...] mais aussi ce qui dialogue avec l’invisible. L’image vibre par cette tension entre champ et hors-champ, dit et non-dit » → et c’est une des grandes problématiques de la composition du poème, ce qui doit entrer dans le cadre, ce qui doit en sortir, et cet incessant travail de menuiserie (Emaz) et de soustraction dont parlent les écrivains. (...)
Toute révérence gardée, on peut tout-à-fait amender cette proposition de Deleuze, en ce qu'elle est une représentation, la sienne, une représentation de philosophe. «L’art prend un morceau du chaos dans un cadre, pour former un chaos composé qui devient sensible» dit-il. On peut avoir une autre vision : 
  • L'art est le résultat de ce que fait l'artiste, lequel sait rarement ce qu'il fait avant de l'avoir fait. 
  • Si "le travail de la philosophie consiste à fabriquer des concept pour tenter de comprendre ce qui se passe", selon la formule de Bruno Latour qui nous va bien, le travail de l'artiste, pour nous, consiste à plonger en lui-même toujours et encore à la recherche de la joie et de l'intuition (cf. Proust, Bergson...). 
  • La "question du cadre" est alors toujours secondaire. En tout cas, n'intervenant jamais consciemment, on peut soutenir qu'elle n'a pas d'incidence. 
  • Quant à un éventuel impact inconscient, hum... qu'en savons-nous ? 
Bien sûr, après un siècle de modernité, un long chemin est à parcourir pour sortir de tous les systèmes, de tous les -ismes et arracher toutes les oeillères.

Voilà ce qui serait "sortir du cadre". Et ça, la NSA n'y peut absolument rien ! Ses ordinateurs pourront toujours nous scruter plus attentivement, ils ne lui expliqueront jamais ce type de secret qui sort tout armé de la poésie comme Athena du cerveau de Jupiter. 

AxoDom


lundi 2 décembre 2013

De plus en plus d'écume...

https://www.facebook.com/photo.php?fbid=502426469849470&l=d1bb30ff50

De plus en plus de bruit, d'écume, d'information,
de petites perceptions, de sons, d'images, de sollicitation,
d'appels à réagir, à signer des pétitions,
à manifester, à s'exprimer, à crier

mais si rarement à rire
à sourire
à respirer
à fermer les yeux et sentir
à voir le bon, le bien
le rigoureux calme serein.

Toujours aller se multiplier,
courir sus à l'ubiquité,
développer vite toutes ses difficultés,
ne pas perdre une minute à se lier.

Oublier la "brevedad de la vida"
qui pourtant nous pend aux sonnets de Quevedo
qui a si bien chansonné les vers de Sénèque
qui a tout dit dans sa vieille langue d'évêque :
"Ayez surtout le souci de séparer les choses du bruit qu'elles font."
Et pour cela quel meilleur marché avec le monde passer
que la poésie qu'on devrait trouver sur tous les bons marchés,
à l'étalage.

jeudi 7 novembre 2013

Landivizio, blasonnée "Ville en Poésie"



Malgré les honteuses coupes budgétaires perpétrées avec une constance politique par un ministère de l'Education pourtant Nationale, l'association Le Printemps des Poètes continue, inlassablement, de penser que la société des hommes "est un temple où de vivants piliers / laissent parfois sortir de confuses paroles" qui aident à vivre mieux. 
Vivre mieux... pourtant l'universel besoin. Et presque le seul, dans "l'expansion des choses infinies" qui nous bousculent sans cesse, et qui bouclent les "Correspondances" de Baudelaire. 
Peu importe. Tant qu'un souffle nous agite, nous nous en allerons répétant, aveugles et sourds mais pas muets :
Toujours sur le métier remettons notre ouvrage
tenace et lourde charge de dur poison
quelqu'un des cols entendra le cri de rage
l’hurlé qui arrache la gorge et l’explosion 
de la poésie de la vie simple aveugle aux chiffrages
de la raison du concept et de ses tisons 
et la force faible et obstinée, qui surnage.

La question poétique

Question aux temps actuels : dans l'agitation politicienne qui s'en vient comme une habitude de marée, quel parti s'emparera - enfin ! - de la question poétique ?

Roland Nadaus, poète et lui-même responsable politique, qui sait donc doublement de quoi il parle, nous exhortait lors d'une réunion de l'Union des Poètes à aller voir les divers candidats pour le leur suggérer... (Lire le verbatim de cette réunion du 5 décembre 2012 ici). 

En attendant, Landivisiau est la 8e "Ville en poésie" de Bretagne sur un total de 46 cités labellisées par l'association (voir ici la liste complète des Villes et villages en poésie sur le site du Printemps des Poètes).
Les Bretons savent défendre ce qui compte.


Actualisation décembre 2017

Landivizio a mis la poésie "au coeur de sa politique culturelle" peut-on lire ici dans Ouest-France :  https://www.ouest-france.fr/bretagne/morlaix-29600/landivisiau-la-ville-va-vivre-au-rythme-de-la-poesie-5385391

jeudi 24 octobre 2013

Le prix Apollinaire 2013 à Temple, le chthonien

Le 75e prix Apollinaire a été décerné en 2013 à Frédéric Jacques Temple, 92 ans, pour l'ensemble d'une oeuvre  paganiste, voire chthonienne.

© Pierre Bolszak / Ed. B. Doucey
Pour l'info brute, voir les sites journalistiques : Livres hebdo ou La lettre du libraire, avec notamment sur ce dernier site la liste des lauréats précédentsMais derrière...

Ici, où nous traquons les ARMES secrètes de la POESIE, arrêtons-nous sur autre chose : pourquoi cette nomination est importante ? 

D'abord parce que, contrairement à une idée reçue qui nuit à la réception de la poésie contemporaine et à la reconnaissance de son autonomie, celle-ci n'est pas d'abord cérébrale. Ainsi, FJ Temple  n'est pas un poète intellectuel. Il le dit et le répète à l'envi, notamment dans la préface de son Anthologie personnelle publiée chez Actes Sud depuis 1989.

"Produit d’une lointaine paysannerie, tout en moi proclame un paganisme que n’ont pas atténué, au contraire, presque deux millénaires chrétiens. Il me plaît même de reconnaître dans l’homme du Jourdain et du Golgotha l’aboutissement miraculeux du grand Pan et la renaissance du Phénix. 
Les forces élémentaires m’ont accompagné tout au long de mon enfance et je me suis plu au commerce des puissances chtoniennes. Je me souviens de l’odeur animale des cavernes et des remugles paludéens. 
S’étonnera-t-on que je prenne mes distances avec cette volonté présomptueuse, commune à beaucoup, de faire de la poésie un pur exercice de l’esprit ? Je crains, tout en les admirant par ailleurs pour leur intelligence et leur brio, les théoriciens qui n’engendrent souvent que des fruits insipides. Ils sont un peu comme les théologiens qui refroidissent la foi. En marge des doctrines et des messages, éteignoirs de la poésie, me guide un mot qui commande la vie, et donc l’art, en dépit des aléas, des souffrances et de la solitude, c’est le plaisir."


Enfonçons le clou pour qu'il tienne : le dernier récipiendaire du prix Apollinaire, où certains voient le Goncourt de la poésie, ne met pas l'intellectualité au centre de sa poésie. Ce qui ne signifie ni qu'elle soit simpliste, ni qu'elle fuie l'intelligence, bien au contraire, évidemment. 


Ensuite cette nomination est importante parce que l'apparence austère, fière, sobre de FJ Temple, toute l'attitude de l'homme comme son écriture prouvent la force de la Poésie, sa résistance intrinsèque à l'Actualité, cette pauvre actualité à laquelle elle préfère, comme Nietzsche, les considérations inactuelles.

Cela seul justifierait que ce prix Apollinaire lui ait été décerné "pour l'ensemble de son oeuvre", fait rarissime, intervenu 8 fois seulement sur 73 lauréats. 


Aujourd'hui sous les hauts plafonds de cet hôtel où tout n'est qu'ordre et beauté, une petite centaine de personnes entourent Frédéric Jacques Temple. Le président du prix Apollinaire, Charles Dobzinski, malade, est remplacé par Jean-Pierre Siméon, également membre du jury, tout comme Zéno Bianu, présent. 

Siméon révèle qu'au premier tour de scrutin, des voix s'étaient portées sur les noms d'Olivier Barbaran et de Jean-Luc Steinmetz mais que l'unanimité s'était ensuite rapidement faite sur celui de Frédéric Jacques Temple. 


Il dresse un rapide portrait d'un aventurier qui fut l'ami de Durrell, de Cendrars, de Henry Miller, participa à la bataille de Monte Cassino et lui apparait "plus Whitman que Mallarmé". Il lit ensuite la longue et savoureuse préface qu'Alain Borer a écrite pour le dernier recueil de FJ Temple, " Phares, balises & feux brefs, suivi de Périples", paru chez Bruno Doucey. 


Voici quelques extraits de cette préface, juste de quoi saliver. 

Les trois lapins (par Alain Borer)

La nature est un temple, mais Temple est une nature. Ce vivant pilier a une tronche de vieux pêcheur assis au port à raccommoder ses filets. C’est l’Homme tranquille sans John Ford. Vous l’approchez, attiré par son Chant des limules. Appelez-le Achab: il vous raconte ses pêches à la baleine au large de Nantucket, explique comment dépecer le chacal, dans le grand Sud marocain, puis tanner sa peau au soleil et au sel. Vous êtes à pied d’œuvre : pour lire Achab, il faut trois lapins. Un «lapin» est une offrande espérée au rendez-vous de tout lecteur. Le premier lapin est de mot. 
(…)  

Achab l’Apache: il en va de l’unité du monde et des choses, la paix implique la connaissance.

(…)  

Notre deuxième lapin est de vérité. C’est le même que l’autre, côté monde. Achab eut une enfance solitaire à fouiller les dolmens et piéger les lièvres. Il fut de ces adolescents qui comprennent leur enfance quand ils lisent Mark Twain et Jack London, puis de ces adultes qui comprennent leur adolescence quand ils lisent Cendrars, Miller, Durrell. Un homme mûr ne distingue bientôt plus ses amis de ses lectures; pour lui, ce furent tout un. Après quatre-vingt, quatre-vingt-cinq ans de lecture et d’écriture, on accède enfin à la solitude intellectuelle.

(…) 

Mais il reste « cet enfant dont je suis la tombe » – tel l’enfant de Suétone, « peureux jusqu’en sa vieillesse».

(…)

Il n’est pas donné à tout le monde de vivre. Il y a des grands poètes sans biographie, comme Mallarmé (d’autres ont une biographie de grand écrivain..., comme Alain Bosquet), ce que j’appelle l’Œuvre-vie est rare. 

(…) 

Achab a traversé la vie en homme de paix. Guerrier contemplatif, voyageur immobile, explorateur égaré, toujours Seul à bord (1945). Bourlingueur, sans doute, comme Cendrars, et comme Cendrars le dit de lui-même, en confidence d’Une nuit dans la forêt « de plus en plus je me rends compte que j’ai toujours pratiqué la vie contemplative ». Autrement dit, il n’a cessé de résister à la dislocation du monde. 

Achab, c’est une poésie à hauteur d’homme, en liaison permanente avec l’unité de l’Être. Il a pris part aux pires bouleversements du monde comme à des rythmes saisonniers. D’ailleurs au cœur de la guerre la conscience, la responsabilité et la liberté s’aiguisent, c’est ce qui est regrettable dans la guerre: il faudrait garder les bons côtés de la guerre en temps de paix. En période de débandade, «la poésie» redevient inaudible. Le poète est un pianiste virtuose de hall d’hôtel, qui fait bien dans le décor mais que personne n’écoute. Pire, on ne l’écouterait pour rien au monde. 

(…)

Le troisième lapin est donc métaphysique : le seul qui vaille nos lacets. Il faut comprendre que les trois lapins réunis vont ensemble, dans un poème, quand il y a œuvre-vie.  




Après le préfacier, s'avance le préfacé qui a bien voulu nous confier le texte de son intervention. La voici in extenso

Le discours de réception de Frédéric Jacques Temple



Le moyen le plus sûr de vivre longtemps, c’est de réussir à devenir vieux. Ce sage conseil que donne Erik Satie, j’ai la chance de le mettre en pratique. C’est que la vie réserve encore et toujours de bonnes surprises que je ne voudrais pas manquer ; et aujourd’hui celle-ci : recevoir le Prix Apollinaire. Je me sens dans la peau d’un jeune poète dont on encourage les débuts prometteurs. C’est à peu près ce que disait Paul Newman en recevant son premier Oscar à Hollywood après plus de quarante ans de carrière.


Je félicite donc le jury pour sa perspicacité. Plus sérieusement je le remercie de tout cœur, globalement en la personne de son Président Charles Dobzinski, malheureusement absent mais qui m’a longuement téléphoné avant hier. Jean-Pierre Siméon, grâce à qui les poètes ne peuvent écrire qu’au printemps, vient de confirmer, très amicalement, que je pouvais prétendre à me voir inscrit désormais au palmarès de ce prix qui bénéficie de l’intérêt généreux que Madame Monique Pignet porte à la poésie, donc aux poètes.


Je m’en voudrais si j’oubliais mes éditeurs successifs ou permanents (ce sont des héros !) : Edmond Charlot, dès 1946, puis Chambelland, Grasset, Fata Morgana, Actes Sud où m’accueillit Hubert Nyssen et qui réédite fidèlement mon Anthologie personnelle depuis 1989, Granit de François-Xavier Jaujard, Proverbe de Jérôme Vérain, Jacques Brémond et Obsidiane de François Boddaert ; et enfin, pour mon dernier recueil, Bruno Doucey qui milite avec talent et passion dans la suite et dans le souvenir de Pierre Seghers ; comme celui-ci, éditeur-poète ou poète-éditeur, dont il me plaît de signaler le dernier recueil :  S’il existe un pays …


Qu’on me permette de saisir l’occasion de cette distinction pour avoir plus qu’une pensée pour deux amis disparus qui ont été lauréats du Prix Apollinaire. Paul Gilson, en 1951, salué par Jean  Cocteau et Blaise Cendrars. En 1946, il avait ouvert toute grande la porte de la Radiodiffusion Française à la poésie et plaça de nombreux poètes aux leviers de commande, parmi lesquels, pour n’en citer qu’un, Georges Emmanuel Clancier. Que Paul Gilson soit parti brusquement en 1963, voilà exactement cinquante ans, ne saurait amoindrir notre reconnaissance.


Le second, Serge Michenaud, fut couronné en 1972 pour son recueil Scorpion-Orphée, premier volume d’une saga que la mort interrompit l’année suivante. C’était un Breton à la forte carrure physique et spirituelle qui avait sourdement la prescience que, pour lui, le temps allait trop vite. Je relis souvent une de ses dernières lettres qui m’apparaît aujourd’hui comme une adresse à tous ceux qui, vivant en poésie, se doivent et doivent aux autres de ne pas différer le face à face avec soi-même. « La poésie, m’écrivait-il, est ta seule parole, le seul nom par lequel, obscurément, quelqu’un qui est toi, t’appelle ». Je me souviens qu’un soir, ayant échoué sur le Banc d’Argain, nous avons posé les questions qui s’adressent à tous, devant un petit feu de bois, sous les étoiles, à l’écoute des oiseaux marins, en attendant que la marée nous remette à flot. Le silence qui nous submergeait était peut-être une réponse.


La liste serait longue de ceux qui nous ont accompagnés et sont partis. À défaut de les nommer tous, il est juste de s’en souvenir pour ne pas laisser s’évanouir des amitiés et des œuvres que trop souvent le vent disperse. « Que sont mes amis devenus ? ». La complainte de Rutebeuf n’a cessé de se faire entendre à travers les siècles.


Souvent se pose la banale question : qu’est-ce que la poésie ? Si on ne me le demande pas, je crois le savoir ; si on me le demande, je ne le sais plus. L’essentiel est qu’elle soit. Je crois bien qu’elle est inutile, mais je suis sûr qu’elle est nécessaire. Reste à savoir à quoi. Peu importe. Chaque poète a sa propre musique qui, par une sorte d’alchimie, peut devenir celle de ceux qui la reçoivent ou la transmettent.


Moi, qui ne suis pas un poète intellectuel, j’ai eu la chance cependant d’être soutenu et compris, depuis de longues années, par ces lecteurs avisés et savants que sont les universitaires, au premier rang desquels Claude Leroy qui vient d’éditer Blaise Cendrars dans la bibliothèque de La Pléiade (il est à Berne aujourd’hui pour présenter cette édition) et j’aperçois ici Pierre-Marie Héron qui a organisé avec lui en 2011 le colloque de mon nonantième anniversaire à l’université Paul Valéry. Ils m’ont appris beaucoup de choses sur moi-même, ils ont toute ma reconnaissance.


La poésie n’a cessé de m’accompagner de ses phares, balises ou feux brefs, pour jalonner mes routes et mes navigations. Des poèmes sont nés, même dans les trous d’eau glacée des Abruzzes, dans le fracas des bombes, la terrible odeur des charpies, les hurlements suprêmes, comme pour témoigner qu’elle ne cessait de participer de l’aventure de vivre. Car il faut vivre, et vivre d’abord. Deinde, filosofare.


Je dois maintenant me faire à cette réalité que j’ai bien reçu le Prix Apollinaire, car je me sens accablé de modestie en réalisant que ne l’ont jamais eu François Villon, Jean de la Fontaine, Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud ou Gérard de Nerval.


Encore merci pour cette belle aventure et merci à tous ceux, enfants, petits-enfants, amis, qui sont venus nous rejoindre ici pour partager ce moment avec moi.
Frédéric Jacques Temple
Hôtel Lutetia, Paris, le 19 octobre 2013


Et voici, comme en dessert, le premier poème de ce dernier recueil, "Phares, balises & feux brefs" d'abord paru en 2005 aux éditions Proverbe. Aujourd'hui épuisée, cette édition a été partiellement remaniée par l’auteur.



mardi 17 septembre 2013

Le projet < Poésie et Sculpture >


Le mot, posé par l'écriture sur un support plat, est assez naturellement associé à l’image. Celle-ci partage son environnement en deux dimensions (feuille, page, affiche, mur…). En tout cas, cette association est bien plus rare avec le volume


Poésie sur pierre en ville. 
"Le bateau ivre" à l'ancre... 

... sur un long mur de la rue Férou,
 
(Paris, 6e) près de l'église St Sulpice.











La main qui écrit est cousine de la main qui dessine. La main qui frappe, modèle, burine, fabrique, assemble... est-elle pas de la même trempe ?

Il y a des bibliothèques entières de livres mêlant poésie et peinture (ou dessin). De même, il y a des discothèques immenses habitées par les enfants du mariage entre poèmes et musiques. Mais si peu de ponts ont été tendus, fussent-ils de lianes rongées par un magma en fusion, entre la poésie et la sculpture



Des poètes et des sculpteurs ensemble dans la ville


Explorant pour notre part depuis longtemps ce double intérêt pour le mot et pour la matière - la chose étendue de Descartes ou Spinoza - dans notre propre pratique artistique, nous avons souhaité proposer à nos amis poètes et sculpteurs de faire un peu de route ensemble. Nous avons voulu provoquer des rencontres plus rares, en investissant d’autres rapports à l’espace, aux dimensions, au volume. Car "C'est dans le volume que nous vivons" (Gil Minorque-Meilud). 

Au cours du festival O+ô de Paris 2013, l’intervention des poètes et des sculpteurs s'est faite in situ, dans la ville. Ces rencontres avaient pour objet d’entraîner les artistes à penser leur art respectif en incluant la richesse de l’autre discipline mais aussi de placer le public sous le feu de découvertes à double entrée.


AxoDom     

lundi 9 septembre 2013

Merci au ciel d'hier, aux artistes, au public.

Dimanche 9 septembre 2013, le festival de la Butte aux cailles, O+ô de Paris 2013 a vécu ce que vivent les roses, l'espace d'une fin d'été. Petite prose du lendemain...


La pluie qui raye ce lundi matin la vitre des fenêtres parisiennes met le doigt sur le premier cadeau de la journée d'hier : un temps de paradis. Il n'a fait ni trop chaud, ni trop froid, il a fait idéal. Pourtant, dans la fébrilité du début de la semaine dernière, on craignait fort l'irruption d'averses; au point qu'avait été mise en place in extremis une solution de repli dans la crypte Ararat de l'église Sainte-Anne. Que le Père Lainé et M. Leguy en soient remerciés.

Et donc d'abord merci au Ciel d'avoir exhaussé nos prières à la hauteur de nos espoirs. 

Puis merci à tous les artistes, qui ont participé bénévolement, d'être ce qu'ils sont : des gens bizarres qui passent des jours et des nuits à penser, à préparer et à réaliser des poèmes, des installations ou des spectacles dont la durée de vie de quelques heures seulement est pour eux seuls assez payée par les étoiles qu'ils allument dans les yeux du public. Ils ont été formidables d'imagination et surtout de gentillesse. C'est le public qui nous l'a dit.

Justement, merci au public qui est venu cette année encore plus nombreux que l'an dernier : environ un tiers de plus alors que les dimanche sont souvent calmes dans le quartier. D'autant qu'il a eu le bon goût de se répartir harmonieusement entre les lieux investis par la bonne trentaine d'artistes ou groupes du festival. 

Ci-dessous un petit photo-florilège forcément incomplet, juste pour faire partager aux absents et remémorer aux présents un souffle de l'heureux parfum de cette journée rare.

Cette année encore, le pari de fonder un festival sur le rassemblement d'artistes de diverses disciplines, dont une grande proportion de poètes, a porté ses fruits. L'an dernier déjà, à O+ô de Paris 2012, six poètes étaient présents (lire l'article ici), cette année nous étions neuf. 

Place Verlaine, Isabelle Camarrieu 
explique le principe de son installation,
 "Le parcours visuel du poème", 
conçue avec Alain Escriou. 

Rue Vandrezanne, le duo de
musique ancienne Ducta Lineola -
trait d'union, en latin.
Passage Boiton, Christophe Sigognault déroule son long poème "Hommage à Henry Moore". 
Les intrigantes boîtes à poèmes accrochées aux
grilles du square Henri-Rousselle tirent les promeneurs
 vers la suite "Le reste est de poussière" d'AxoDom. 


(à suivre)





Poésie en boîtes - Le reste est de poussière

Merci à Cathryn Brimhall pour ces trois photographies qui montrent parfaitement et le dispositif et le principe de notre installation présentée dimanche 9 septembre dans le square Henri-Rousselle.  


5 poèmes en volume de la série "Le reste est de poussière". 

Pour la 3e édition du Festival O+ô de Paris 2013, nous avons présenté 5 poèmes en volume de notre série en cours LE RESTE EST DE POUSSIERE. 

Le thème du festival étant cette année "Sortir du cadre", avec un coup de projecteur sur le lien entre poésie et sculpture, nous avons interrogé la mise en 3D du poème... lequel est par nature en deux dimensions. 

Il en est résulté de passionnantes surprises lors de la préparation de ce travail comme lors de sa présentation, sur lesquelles nous reviendrons en détails. 

(liste des poèmes plus bas)


Pour entrer dans un poème, il importe de trouver d'abord la bonne distance.


On devrait toujours lire un poème comme ça. 


Voici la liste des cinq premiers poèmes emboîtés : 
- 1 - Dernier jour d'été
- 2 - Un séjour entre les deux
- 3 - L'air insensible
- 4 - Temps mort en Syrie
- 5 - Chutes Elévations Rechutes. 


Tous sont inédits sauf Temps mort en Syrie
publié dans l'anthologie des éditions du nouvel Athanor, 
Les Cahiers du sens 2013 - La colère. 
Sorti au Marché de la Poésie 2013, cet ouvrage est disponible 
en nous contactant directement.







jeudi 5 septembre 2013

Quand poésie et sculpture festivalent la Butte

O+o de Paris (comprendre au plus haut, en référence à la position culminante de la Butte aux cailles) a été créé en 2011 par des artistes du quartier. Cette année, il a voulu ouvrir un dialogue pas si fréquent entre poésie et sculpture. 


L'affiche est signée Philippe Mairesse.
Pour sa 3e édition, le 8 septembre 2013, cet encore jeune festival réunira une trentaine d’artistes de diverses disciplines dans un bouquet de rues de l’un des quartiers préservés de la capitale, entre la place d'Italie et l'église Sainte Anne.

Le thème de cette année est "Sortir du cadre", avec un coup de projecteur particulier sur le lien entre poésie et sculpture. 
Ce lien sera traité d'une part au sein du festival par des duos 1 poète / 1 sculpteur qui réaliseront des oeuvres en commun et d'autre part lors d'un colloque ultérieurement consacré au sujet. 

La veille, samedi 7 septembre, quelques ateliers d'artistes du quartier seront ouverts de 14 à 20h. 

Pour cette 3e année d'existence, le festival proposera une bonne vingtaine de rencontres poétiques, musicales, picturales, sculpturales, idéales... Les neuf rendez-vous entre poètes et sculpteurs seront entourés de nombreuses interventions de conteurs, chanteurs, musiciens, danseurs, comédiens dans une approche joyeuse (et gratuite...). 

Le programme établi prévoit lieux et horaires précis (voir ci-dessous) mais le public doit surtout accepter de se laisser surprendre. S'il est difficile de changer la vie, l'art permet au moins de changer le regard. 
Il y en aura d'ailleurs pour tous les goûts et tous les âges, certaines animations s'adressant clairement aux enfants. 


Un Parcours Poésie et Sculpture en 9 stations

L'après-midi du dimanche 8 permettra ainsi aux curieux de découvrir un certain nombre de propositions : 
- Une sculpture tout en douceur de Carole Reichteiner et un texte d’Anne de Commines pour s'y couler (place Verlaine)
- « Le reste est de poussière », structure multi-facettes de poèmes à stabilité hyperbolique par le duo AxoDom (Square Henri-Rousselle, face à la place Verlaine)
« Parcours visuel du poème », installation d'Alain Escriou et Isabelle Camarrieu
- « Homo aqua, Aquarium », installation-poème conçu et réalisé par Fabrice Charbit
- « Des Mots-Zaïque et des lessives poétiques », installation interactive de Pascale Hillion et de la céramiste Stéphanie Lechevalier (place Verlaine)
- « Hommage à Henry Moore » par Christophe Sigognault et Diza Guileps (passage Boiton)
« Escapade dans le temps des rubans » au Cabinet de curiosités de Martine Meunier avec le poète Mario Urbanet (rue Vandrezanne)
- sculpture collective de Nasha Mercier animée par la poésie de Michèle Souffez (place de la Commune)
- un « dispositif à mots-déviations » de Gaëtan Sortet et Martin Coste en fin d'après-midi (Galerie 43 rue Vandrezanne). 


Dominique Guillerm

Nota bene : En cas de forte pluie, un repli stratégique est prévu dans la crypte Ararat de l'église Ste-Anne. 

Ci-dessous le programme complet et téléchargeable.